Homélie de Pentecôte A


Evangile selon Saint Jean 20,19-23.
Voilà pourquoi le christianisme n’est pas une idéologie ou une fable.
Les écueils sont réels quand on parle du christianisme ou de l’Eglise, de tomber soit dans l’idéologie soit dans la fable. Non pas que ces catégories de pensées soient à rejeter comme mauvaises en soi, mais il question de tout autre chose dans l’évènement du Don du Saint Esprit aux disciples. Le récit ne nous montre pas la transmission d’un système de valeurs ou d’organisation de la société, il n’est pas plus dans l’extraordinaire ou l’ésotérique. Quels sont les éléments probants de ce court récit, ancré dans l’histoire du salut, qui nous invite à vivre de l’Esprit de Dieu, hors d’une perspective finie (l’idéologie) ou sans grand intérêt (la fable) ?
Etrangement, la peur des disciples (le texte ne dit pas « apôtres », mais peut-être traduisons-nous spontanément un terme pour un autre ; cela pose question) de leurs semblables, les juifs, est le premier élément à retenir. Il ne s’agit pas, pour eux, de douter de l’enseignement de Jésus (c’est-à-dire : « Dieu sauve »), mais de ressentir une peur par rapport à la mort physique et sociale qu’encourait le disciple de ce Jésus de Nazareth. Lui qui n’avait de cesse, d’ailleurs, d’enseigner l’exercice de la liberté respectueuse de l’altérité. Plus encore, il mettait le petit et le faible au centre de la communauté, comme norme. L’absence de cette sorte de peur, au niveau religieux, est souvent un indice de fanatisme : une force qui ne doute pas d’elle-même et qui ne compte que sur elle-même.
Bienheureuse peur qui rapidement fait place à la joie, au « chérissement » traduisent certains : le Crucifié est ressuscité, deuxième élément. La joie du disciple, avant d’avoir reçu l’Esprit-Saint. Nous nous souvenons des récits qui nous racontent que ceux qui voyaient les disciples témoigner, pensaient qu’ils avaient bu du vin doux. Le vin des noces spirituelles, de l’Alliance. On n’est pas dans l’ésotérique mais dans l’incarnation, avec ce genre de joie. Les idéologies connaissent éventuellement l’enthousiasme, souvent l’embrigadement, la résignation, la détermination mais rarement ou jamais cette joie. Deuxième élément.
Troisièmement, dans les rapports de pouvoir, la question qui se pose est celle de la légitimité. Au nom de quoi dites-vous cela, d’où tenez-vous votre (prétendu) pouvoir ? Questions posées à Jésus durant sa vie par diverses autorités, posant également la question de la vérité, questions posées sans cesse à l’Eglise catholique par les médias, par les politiques, et par tous ceux qui ne veulent pas dire au nom de quoi ou de qui ils agissent. L’Evangile nous indique que la légitimité des disciples ne vient pas de leurs mérites ou de leurs désirs mais de la relation de Jésus au Père : « Amen, amen, je vous dis : qui entend ma parole et croit en Celui qui m’a donné mission a la vie éternelle. Il ne vient pas en jugement mais il est passé de la mort à la vie. » (St Jean 5, 24). Les disciples reçoivent le Don ineffable, qui inspire la Création et ensuite l’humain dès le principe. L’oeuvre du Souffle divin et de la Parole de Dieu est de mettre de l’ordre dans le chaos, le tohu-bohu. Voilà la mission qui leur est confiée. Ils s’inscrivent ainsi dans l’histoire sainte, et en particulier dans la mission prophétique de l’Eglise. Comme il est dit dans le prophète Isaïe : « Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur. »
« Il jugera non sur l’apparence. Il ne se prononcera pas sur le ouï-dire. Il jugera le faible avec justice. On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma sainte montagne, car le pays sera rempli de la connaissance de Dieu. »Isaïe 11, 1-2 et sv.. Les dons de l’Esprit parlent de l’histoire d’Israël : esprit de sagesse et d’intelligence comme le roi Salomon, esprit de conseil et de force comme le roi David, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur comme les Patriarches et les prophètes.
Enfin, Jésus confie à ses disciples non pas un pouvoir mais une responsabilité : lier et délier. Décharger leurs semblables de leurs fautes, de leurs péchés. Il ne choisit pas un disciple comme successeur mais invite collégialement les disciples à oeuvrer dans ce sens. La seule peur que nous devrions ressentir, pour revenir au début de l’Evangile, c’est l’enfermement dans le mal. « C’est Jésus de Nazareth qui découvrit le rôle du pardon dans le domaine des affaires humaines.(…) .»« C’est seulement en se déliant ainsi mutuellement de ce qu’ils font que les hommes peuvent rester de libres agents ; c’est parce qu’ils sont toujours disposés à changer d’avis et à prendre un nouveau départ que l’on peut leur confier ce grand pouvoir qui est le leur de commencer du neuf, d’innover .»(…) A cet égard, le pardon est exactement le contraire de la vengeance(…). (…)Le pardon est la seule réaction qui ne se borne pas à réagir mais qui agisse de façon nouvelle et inattendue, non conditionnée par l’acte qui l’a provoquée et qui par conséquent libère des conséquences de l’acte à la fois celui qui pardonne et celui qui est pardonné. » Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, l’Action, dans L’Humaine Condition, Quarto Gallimard, 2012, pp.252-254.
La Pentecôte est, au-delà du descriptible, l’évènement nécessaire à l’épanouissement de l’humanité pleinement divinisée.
Abbé Thierry Vander Poelen

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