Le repas de la
compassion.
Le récit
évangélique de la multiplication des pains est entré dans la culture
contemporaine, plus que n’importe quel autre, tant il est à la fois simple et
étonnant. On le retrouve chez les quatre évangélistes, et même chez Matthieu et
Marc, on a un second récit de la multiplication
qui suit rapidement le premier. Une telle insistance n’est pas fortuite.
Examinons le texte
de ce jour, en commençant par remarquer que la version liturgique omet un
verbe : (Jésus) entend. S’il s’écarte, se retire vers un lieu désert c’est
qu’il s’est passé un évènement que les disciples de Jean-Baptiste sont venus
annoncer à Jésus : Hérode Antipas a fait décapiter Jean dans sa prison.
Plus qu’un serment d’ivrogne, la décollation du Précurseur est un acte
politique, Jean a osé contester son autorité. Soit dit en passant, Antipas sera
banni en l’an 39 et envoyé en Gaule, à Lyon. Nul ne sait ce qu’il est advenu.
Pour l’heure,
Jésus ne veut pas l’affronter, cela viendra plus tard lorsqu’il gardera le
silence face à la curiosité du Tétrarque.
La multiplication des pains trouve une de ses explications dans
l’exécution de Jean. Elle une réponse à la destruction de la vie par une
surabondance de compassion pour les infirmes que Jésus guérit, et que l’on
oublie souvent de lier à l’acte « extraordinaire » de la multiplication des pains. Les
foules, dont Hérode craint la réaction, entendent (que Jésus s’est éloigné,
mais peut-être aussi que le Baptiste a été tué) et se mettent en marche pour
suivre, à pieds. Il y a encore plus à entendre. Le récit ne parle pas
d’enseignement de Jésus à cet endroit mais Saint Matthieu nous rapporte que
dans leurs synagogues, l’ayant entendu, beaucoup se demandent d’où lui viennent
cette sagesse et les miracles qu’il accomplit, sachant ses origines familiales
(Mt 13,54-56). Le texte dit même : « là il ne fait pas beaucoup
de miracles à cause de leur manque de foi ».
Le lieu où ils se
rassemblent est désert, mais ce n’est pas le désert, il fait asseoir les foules
sur l’herbe. A partir de l’indigence des offrandes, il fera surgir la
surabondance. Je laisse aux « kabbalistes et aux numérologues » le soin
de disserter sur les nombres que l’on retrouve dans ce récit. Je retiendrai
deux éléments : « il lève le regard au ciel » et « il bénit
partage et donne aux disciples les pains, et les disciples aux foules ».
Jésus relie le ciel et la terre et les hommes entre eux. Il n’y a là pas à
calculer. Il n’y a pas de stratégie cachée. Pas plus qu’un appel à la révolte
ou à l’émeute contre Hérode Antipas. S’il faut verser du sang, Jésus versera le
sien. On voit dans ce récit, à raison, une anticipation de l’eucharistie :
« vous ferez cela en mémoire de moi ». Peut-on y voir également la
seule réponse féconde, simple et pour cela extraordinaire, qui dénonce, sur un autre mode que le
Baptiste, le mal à l’œuvre dans le monde et propose une alternative qui guérit
et qui nourrit pour cette vie et pour l’autre.
Abbé Thierry
Vander Poelen